Entre légitimation, lutte pour la captation du pouvoir et construction de la domination

Colloque organisé par Eloïse Adde et Michel Margue
Prévu les 29-30 novembre 2018
Université du Luxembourg

Ce colloque entend mettre à l’épreuve l’idée dynastique. Le regard de l’historien est en effet nécessairement induit en erreur par la perspective rétroactive qui caractérise son travail. Prenant acte après-coup de plus de cent ans de règne, il accepte un peu trop facilement la domination de la dynastie des Luxembourg comme une évidence. Dans les territoires régis par le principe héréditaire comme dans l’Empire soumis au principe électif, les souverains mirent à profit le lien spécial qui unissait à la dynastie pour manifester le caractère naturel de l’origine de leur pouvoir. En ce sens, nous nous intéresserons aux stratégies développées pour susciter ce sentiment d’évidence et de naturel aux sujets, et ainsi remporter l’adhésion, notamment en sondant l’existence – ou non – d’une culture, voire d’une idéologie, dynastique propre aux Luxembourg (dans la durée et dans l’espace qui leur était soumis) et la sensibilité, la réceptivité des sujets à une telle entreprise. Sur quels vecteurs et critères la dynastie s’appuie-t-elle pour conquérir son droit à régner ? Sur quoi fonde-t-elle sa légitimité ? Il n’y a pas de dynastie sans société politique qui la reconnaît dans ses droits. Mais cette légitimation est le produit d’une négociation permanente aux enjeux toujours reposés et aux formes toujours renouvelées, au gré des contextes et rapports de force successifs. Loin d’être assurée une fois pour toutes, la position des Luxembourg est de ce fait régulièrement fragilisée, le malaise culminant sous Venceslas Ier/IV, malmené tant dans l’Empire que dans le royaume de Bohême.
Dans le contexte médiéval caractérisé par un fonctionnement institutionnel encore fragile, la dynastie est traditionnellement perçue comme l’élément pourvoyeur de continuité et de stabilité, dans un schéma articulé sur les deux corps du roi où la dynastie figurerait le corps mystique éternel. Dans une perspective inversée, nous passerons au crible cette idée reçue, diffusée dès le Moyen Âge, pour redonner toute leur place aux autres acteurs dans l’institutionnalisation des instances étatiques et des pratiques politiques.
Nous nous demanderons quels étaient les facteurs réellement constitutifs de cohésion politique et accorderons une attention particulière aux communautés en place, et donc à la participation politique, en nous interrogeant sur les structures et instances de la représentation (formes / désignation / fonctionnement). Cela nous amènera à poser parallèlement les questions des échelles, et de prendre en compte l’action de tous les organes qui permettaient une certaine représentation, ainsi que de la répartition des compétences (collège des grands-électeurs / diètes d’Empire / assemblées locales / tribunaux royaux). La catégorie des collaborateurs du souverain (composition de la cour, chancellerie, entourage proche) et de la délégation du pouvoir sera abordée dans une perspective « from below », posant la question du recrutement local, pour mettre en lumière l’autonomie et le fonctionnement d’un réseau dont l’existence est souvent attestée avant l’installation de la dynastie (noblesse locale, traditions urbaines, etc.). Il sera intéressant de réfléchir dans ce contexte au marquage des différents groupes/sphères et à l’impact de la fidélité envers la dynastie.

Nos efforts porteront alors sur les modalités de la prise de décision. Pour ce faire, nous évaluerons la professionnalisation des personnels, la bureaucratisation des instances/organes, le degré de différenciation entre eux et leurs compétences/responsabilités respectives (plus politiques, administratifs).  Il faudra alors accorder une attention au rôle du souverain dans ce processus (consultatif, décisif, superflu). Le but sera d’en tirer un ensemble de constellations sur la base de l’équilibre des rapports de force / du contexte / de la décision prise, qui servira à dresser une typologie de la prise de décision.

Pour finir, il ne faudra pas perdre de vue que cet espace social est avant tout un espace de concurrence entre les différents groupes sociaux et politiques, comme au sein de ces groupes eux-mêmes, et de mettre au jour les stratégies, entre autres, d’ascension et de reproduction sociales. Le souverain devra être considéré comme un acteur parmi d’autres et à la fois comme un personnage spécial, au capital symbolique important, dont le soutien était aussi un facteur décisif. De ce fait il ne faudra pas oublier la prise de parole hors des institutions traditionnelles dans le cadre du rôle croissant de l’opinion dans les stratégies de justifications et de communication (rôle de l’écrit, de la littérature, de la rumeur) qui valait autant à l’intérieur du groupe qu’à l’extérieur dans un souci de reconnaissance essentiel à la compréhension du pouvoir et de son partage. Cela nous amènera à mesurer l’intégration de la population dans le projet politique et l’existence plus ou moins avancée d’un espace public.